Chroniques du jeu, des joueurs et des matches d’avant.

Pour une esthétique éternelle du football, de ses enjeux, de ses libéros et de ses 5-3-2.

dimanche 22 septembre 2019

FONDATIONS UNIES


Roumanie-France (1-3), octobre 1995


Qu'est-ce qu'un match « fondateur » ? Une partie qui frappe les esprits et dont le resultat, inattendu bien qu'espéré, marque le début d'un nouveau cycle. Mais aussi une rencontre durant laquelle une équipe se révèle à elle-même, façonne les contours d'une identité qui devra s'inscrire dans la durée.


Le match fondateur de l'équipe de France de la « win » late 90's-early 00's se joue à Bucarest, à l'automne 1995. Clouée au pilori pour son absence d'ambition dans le jeu qui se traduit par une série de matchs nuls et stériles (Slovaquie, Pologne...), la team d'Aimé Jacquet est au bord du gouffre. Deux ans après la piteuse élimination du Mondial américain (le fameux « France-Bulgarie-gate » de 1993), et deux ans (et demie) avant d'accueillir la prochaine coupe du monde, la France est virtuellement éliminée de l'Euro 96.

Elle n'a plus le choix : si elle veut se qualifier pour la première édition de cette compétition ouverte à 16 nations, il faut aller chercher un résultat dans les Carpates. Seulement voilà, la Roumanie sort d'un Mondial américain sensationnel seulement stoppé en quart de finale par les terribles Suédois, après avoir balayé les outsiders colombiens, les hôtes U.S. et renversé l'Argentine privée de Diego Maradona (mais nantie de Redondo, Batistuta et autres Sensini) en huitième de finale.

Autant dire qu'on a grave les chocottes dans l'amphi B flambant neuf de l'université du Hainaut en ce mercredi 11 octobre, début d'après-midi. Non pas à cause des désastreuses prévisions macro-économiques de notre lointain discoureur, un obscur prof qui n'a pas su captiver notre attention. Le match commence dans moins de deux heures (horaire d'Europe de l'Est, style 17h45) et on n'a pas envie d'imaginer les Bleus absents d'une quatrième compétition internationale en 10 ans...

Mon voisin de droite (tendance libérale à la Milton Friedman) admet qu'avec un Karembeu monstrueux des deux côtés du terrain avec la Samp', un Djorkaeff létal devant les cages, un Desailly stratosphérique au Milan, un Deschamps patron de le Juve de Lippi et des Girondins en folie (Duga-Zizou-Lizarazu en pleine épopée coupe de l'UEFA), on a vraiment de quoi renverser des montagnes. Cette Roumanie en est une, de montagne.

Il leur a bien fermé leurs bouches aux Roumains, Marcel.
Les deux heures de jeu qui suivront seront extatiques. Dans un stade mal éclairé, ce qui renforce la sensation de piège lugubre que revêt cette rencontre, l'image est sombre, lointaine - on est à trois semaines dHalloween aussi. On sent tout de même immédiatement que les Djorkaeff, Dugary et autres Karembeu sont dans le coup. Il y a de l'envie, de la niaque, des duels gagnés. Une défense solidifiée par le duo boucherie-charcuterie composé des inénarrables Leboeuf et Di Meco (ce dernier portant étonnamment le brassard de capitaine ce jour-là).

Contre toute attente, donc (au mieux on espérait un nul qui reportait à plus tard encore la décision de la qualif'), le France l'emporte. Et impose un nouveau style. Sans Ginola et Cantona, dont les arabesques régalent le championnat anglais, donc sans les deux joueurs français à la plus haute réputation internationale à l'époque, les Bleus montrent un visage relativement rare dans la tradition de l'équipe de France : besogneuse, accrocheuse, tranchante en contre-attaque, sereine et forte mentalement. Et bien sûr, une touche de technique savoureuse devant, avec un Zidane inspiré et surtout un Djorkaeff omniprésent à la construction comme à la conclusion. Le Youri est à ce moment-là le « franchise-player » des Bleus, et il le sera encore jusqu'au jour du couronnement de 1998.



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