Chroniques du jeu, des joueurs et des matches d’avant.

Pour une esthétique éternelle du football, de ses enjeux, de ses libéros et de ses 5-3-2.

samedi 19 août 2017

LE CALCIO DÉPLOIE SES AILES

REAL MADRID – MILAN AC 1989 (1-1)


Ce n'est pas une équipe arc-boutée en défense qui se présente en ce printemps européen disputer le math aller de la demi-finale de la Coupe des Clubs Champions à Bernabeu. Ce n'est pas non plus une formation outrageusement dominatrice et monopolisant la balle de la première à la dernière minute qui se présente face à la terrible Quinta Del Buitre. C'est autre chose qui va se dérouler ce soir d'avril 1989 dans la capitale espagnole. Aux yeux de l'Europe entière, le Milan AC va frapper un grand coup. Pas le plus spectaculaire, pas le plus héroïque, mais un immense coup tactique.

En l'absence de Costacurta, Rijkaard est descend d'un cran épauler
Baresi en défense centrale. Donadoni a coulissé
pour prendre la place, inhabituelle pour lui, de milieu central.

C'est en effet dans occupation du terrain que l'équipe du président Berlusconi bouscule les traditions. Les Rouge et Noir jouent haut, loin de leurs cages, avec des intentions offensives. Pour la première fois, une équipe italienne se déplace chez un grand d'Europe sans laisser volontairement la balle à l'adversaire pour mieux contre-attaquer. Au contraire, durant 90 minutes, le digne représentant du calcio joue toutes ailes déployées dans son 4-4-2 maison : les attaques sont tranchantes, vives, en première intention. La récupération est haute, elle fait suite à un pressing intense qui étouffe le milieu adverse composé de Schuster, Michel et Martin Vasquez (excusez du peu!). La « zone press » du coach italien fait merveille.

Le pressing imprimé par Arrigo Sacchi élève l'exercice au rang d'art. Les joueurs coulissent formidablement, compensent les déplacements les uns des autres, comme dans un ballet orchestré par le capitaine Franco Baresi. L'ensemble ne laisse aucun répit à l'adversaire, champion d'Espagne et récent double vainqueur de la coupe UEFA (85 et 86) fut-il. Au centre du terrain, Ancelotti est le métronome, la sentinelle, infatigable ratisseur aussi bien cinquième défenseur que premier attaquant. Devant, Gullit décroche souvent pour soutenir ses milieux, tandis que Van Basten assure dans le rôle qu'on lui connaît de buteur-remiseur tellement classe qu'on a l'impression qu'il joue en costume trois-pièces.

Leurs pauvres adversaires font peine à voir en comparaison. Averti du danger rouge et noir, l’entraîneur de la Maison Blanche, Léo Beenhakker, a mis au point une parade : le bloc joue bas, regroupé autour de deux stoppeurs et d'une libéro, le beau Gallego et son numéro 10 dans le dos. À lui de trouver, par de longs ballons, les flèches Hugo Sanchez et Butragueno en première intention, ou alors, indirectement en passant par les latéraux Gordillo et Chendo. Football fruste comparé à l'iconoclaste démonstration lombarde faite de redoublements à ras de terre, d'appels subtils, de longues transversales précises et d'un engagement de tous les instants.

Il Capitano Franco Baresi
Un engagement physique qui ne se confond pourtant pas avec la précipitation ou la brutalité. Jamais les coéquipiers du soyeux Donadoni ne varient dans leurs intentions : aller chercher le ballon haut, le plus près des cages adverses, puis combiner rapidement pour toucher les attaquants le plus rapidement possible – afin de ne pas leur laisser le loisir de se replier et de se réorganiser défensivement. Même après l'ouverture du score des locaux (joli ciseau du Mexicain Sanchez, juste avant la mi-temps), ils ne perdront pas les pédales. Pas même après l'égalisation – injustement – refusée à Gullit après l'heure de jeu – suite à une flamboyante percée du « libero grande », Franco Baresi.

L'égalisation, mille fois méritée, survient finalement sur un exploit technique de Van Basten qui reprend de la tête, à vingt mètres, un centre de Tassoti un peu court. À 1-1, les Merengue se disent alors sans doute qu'ils ne font pas une si mauvaise opération que ça au vu du déroulé du match. Mais l'Histoire est en marche, avec un grand, un immense « H ». Ce Milan éclabousse l'Europe et il n'y aura aucun public hostile, ni aucun arbitrage moyen pur se mettre en travers de leur chemin quinze jours plus tard à San Siro (5-0), au cours d'une rencontre qui marquera durablement l'histoire pourtant déjà riche des coupes d'Europe de clubs.

Le match en intégralité ici:




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