Chroniques du jeu, des joueurs et des matches d’avant.

Pour une esthétique éternelle du football, de ses enjeux, de ses libéros et de ses 5-3-2.

mardi 7 juillet 2015

RFA-POLOGNE 1974 : BATAILLE D'EAU EN MONDIOVISION

Dans des conditions diluviennes, la Mannschaft remporte la bataille navale qui lui permet d'accéder à la finale de « sa » coupe du monde.



Il pleut des seaux d'eau sur Francfort depuis la veille, et encore à l'heure où les deux équipes sont programmées pour donner le coup d'envoi de Pologne – Allemagne de l'Ouest. On va attendre un peu que le grain passe. Les stadiers épongent la pelouse avec leurs gros rouleaux. Les pompiers arrivent en renfort. On ne voit que des parapluies dans les tribunes. La délégation polonaise veut reporter le match – le bon sens l'y incite. Les Allemands veulent jouer. L'arbitre autrichien décide que la bataille d'eau peut commencer, avec une demi-heure de retard et un bon cinquième de l'aire de jeu totalement impraticable, gorgée d'eau. Sur une bande de 40 mètres de long sur 25 de large, entre la surface de réparation et la ligne médiane côté opposé à la tribune officielle, le ballon n'avance pas.

C'est la zone de Breitner, l'arrière gauche, qui s'emploie toute la première mi-temps à tenter de nettoyer ce qu'il reste de pelouse à cet endroit du terrain en multipliant les aller-retours. Le ballon produit des trajectoires facétieuses, s'arrête subrepticement, prend les joueur à contre-pied. Le fabuleuse histoire du « Foot en folie » commence ici. Beckenbauer, lui,a tout compris : il procède par petites louches successives pour avancer sur cette partie du terrain imbibée d'eau. Mais la mécanique de construction germanique est contrariée par la météo. Décidément, cette coupe du monde, c'est la galère pour les troupes de Helmut Schön.

Les Allemands jouent avec le feu depuis le début de la compétition


La victoire à l'arrachée lors du premier match contre le Chili, grâce à une énorme patate du fougueux Breitner, 23 ans, latéral offensif, n'efface pas tout. L'humiliation d'une défaite face au frère de l'Est (RDA-RFA : 1-0) renvoie-t-elle la Mannschaft à des moments de doute avant le second tour ? Habitués à briller depuis vingt ans en coupe du monde (une victoire, une finale et une demi-finale sur les quatre dernières éditions) et vainqueurs de l'Euro 72, les Allemands sont ultra favoris de l'épreuve. Dans le sillage du Bayern, qui vient de remporter sa première C1 et qui forme l'ossature de la sélection nationale, on se demande qui peut stopper la machine teutonne. Pourtant, ce n'est pas à un redressement tonitruant qu'on assiste lors des matches suivants.

Les Yougos, et leur légendaire sens de la combativité, ne font pas ombrage à leurs hôtes. Mais contre la Suède, c'est une autre histoire. Overath, génial meneur de jeu jamais en manque d'inspiration, recentre les débats en 2e mi-temps (victoire 4-2) alors que les Scandinaves menaient à la surprise générale à la pause (volée limpide d'Edströem sur un ballon mal renvoyé). Grabowski, entré après l'heure de jeu, séduit efficacement sur l'aile droite dans ce duel de haute volée au suspense garanti. Il retrouve une place de titulaire perdue en début de tournoi pour le match décisif contre la Pologne.

Hölzenbein utilise ses aérofreins pour stopper la course de Szymanowski

En fait, hormis les cinq-six indéboulonnables (Maier, Vogts, Schwarzenbeck, Beckenbauer, Breitner, Müller), la formation alignée par papy Helmut fluctue de match en match. A la pression qui naturellement échoit au pays qui joue une coupe du monde à domicile s'ajoute une fébrilité sur le plan tactique que le coach semble avoir du mal à gérer. Des histoires de clan, de lobbies : Netzer et le team Mönchengladbach d'un coté, Overath et les Munichois de l'autre. Netzer a un style de jeu plus flamboyant, plus direct qu'Overath. Il est meilleur dribbleur, plus grand buteur. Plus soliste aussi, moins impliqué dans les rouages du rythme collectif que le génial Wolfgang aime imprimer, en chef d'orchestre au pied gauche de velours.

Beckenbauer tranche, ce sera Overath avec qui il formait un formidable binôme du milieu de terrain quatre ans auparavant au Mexique. Leur relation technique est toujours aussi onctueuse : petites passes dans l'intervalle, remontées de balle tranquilles, ouverture de l'extérieur du pied etc. Restent trois postes à pourvoir : Wimmer, Herzog, Flohe, Cullman et Heynckes se succèdent sur les pelouses de Germanie avant que le puissant Bonhof ne s'installe comme milieu défensif, puis que les ailiers de l'Eintracht, le malicieux Grabovski et le chétif Hölzenbein, ne s'incrustent définitivement sur la feuille de match à partir du fameux match contre la Pologne.

La Pologne rate le coche et s'en bouffe le coude


Revenons donc à notre clash des Titans : RFA-Pologne, affiche finale d'un second tour sous forme de mini-championnat à quatre équipes. Allemands et polonais ont remporté leurs deux premières rencontres : le vainqueur du duel validera son billet pour la finale. Bien que l'organisation ne l'ait pas prévu ainsi, l'épreuve offre donc une véritable demi-finale à la mondovision rincée à l'eau claire, trempée des pieds à la tête. Et la pelouse inondée ne handicape pas que les défenseurs allemands aux maillots tout crottés après même pas un quart d'heure de jeu. Tout le flanc droit de l'attaque polonaise est neutralisée en première mi-temps. Celui où rode Lato, révélation du tournoi, appelé en dernière minute (remplaçant la légende Lubanski), titulaire surprise et auteur de six buts en cinq matches ! Du bourbier de Francfort, le « divin dégarni » (24 ans) s'extraie pour aller défier Maier en un contre un vers la demi-heure de jeu. Le gardien munichois n'est pas là pour rigoler et offre son corps en sacrifice à la Nation en danger. Ce sera la plus grosse occasion de but de la première mi-temps sifflée sur un score nul et vierge.

Beckenbauer se positionne en F3 alors que Domarski l'attendait en C2

Prudents, les locaux n'ont jusque là pris aucun risque avec l'état du terrain. Mais au retour des vestiaires il n'y a plus le choix. Un 0-0 qualifie les rouges, au bénéfice du goal-average. Il faut marquer, mais rien ne sert de s'affoler non plus : « Nous sommes chez nous, jouons notre jeu, ça finira bien par passer » explique (à peu près) Kaizer Franz à ses camarades pendant la pause citron. À l'heure de jeu, Hölzenbein se faufile dans la défense à deux têtes formée du grand Gorgon et de l'impétueux Zmuda (20 ans, élu "meilleur jeune" du tournoi) : penalty. Hoeness, infatigable accélérateur de particules entre le milieu et l'attaque, parfois imprécis, y va. Tomaszewski la sort. Stupeur. Et tremblements.

Beckenbauer monte d'un cran, il est maintenant à l'origine de toutes les actions. Qu'Overath modèle à son image : élégamment et avec clairvoyance, alternant jeu court et jeu long, s'appuyant sur les courses de ses coéquipiers comme un trapéziste sur son bâton d'équilibre. Sur une percée de Bonhof, Müller récupère miraculeusement un ballon taclé à l'emporte-pièce, à 15 mètres des buts. Sans pitié, « der Bomber » crucifie le gardien polonais d'une frappe croisée. Enfin ! Délivrance. Le dernier quart d'heure est épique. Piqués au vif, les Polonais se ruent à l'attaque. Ils regretteront peut être d'avoir été trop gestionnaires pendant 80 minutes : ils n'en ont plus que 10 pour récupérer leur place en finale ! Deyna, capitaine, meneur de jeu et leader technique de la belle Pologne force le goal du Bayern à de très, très grandes œuvres.

La pluie reprend, double et triple. Elle harcèle les photographes de bord de touche autant que les tirs perdus de Maszczyk et Gadocha. Le courage germanique s'impose finalement, au bout de l'effort et de la douche (sans Thaïti). Il prive les utopistes d'une finale aussi inédite qu'excitante entre Pologne et Hollande, les deux équipes les plus prolifiques de la compétition en termes de buts. Quant à l'Allemagne, elle se faufile une nouvelle fois par un trou de souris pour avancer son pion péniblement vers Dame. Reste une ultime marche, face aux redoutables (imbattables ?) coéquipiers de Johann Cruyff, quatre jours plus tard, à Munich...

Feuille de Match


Coupe du Monde 1974, second tour, groupe B, 3 juillet 1974

Waldstadion, Francfort. Affluence: 62,000
Arbitre: Erich Linemayr

Pologne : Tomaszewski – Szymanowski, Gorgon, Zmuda, Musial – Kasperczak, Maszczyk, Deyna (cap.), Domarski – Gadocha, Lato. Ent : Gorski.

Allemagne : Maier – Vogts, Schwarzenbeck, Beckenbauer (cap.), Breitner – Bonhof, Overath, Hoeness – Hölzenbein, Grabowski, Müller. Ent : Schön.

But : Müller (76e)