Chroniques du jeu, des joueurs et des matches d’avant.

Pour une esthétique éternelle du football, de ses enjeux, de ses libéros et de ses 5-3-2.

lundi 23 juin 2014

LE PREMIER TOUR : UN « TROMPE L’OEIL » ?

Les équipes qui réalisent de gros scores lors des matches de poule en coupe du Monde sont souvent décevantes lors de la suite de la compétition. À quelques exceptions près…


En 82, ce sont les Anglais qui tirent les premiers (3-1) contre la France. La Hongrie enregistre de son côté le plus gros score de l’histoire de la World Cup face aux naïfs Salvadoriens (10-1). Les coéquipiers de Kevin Keegan (blessé) seront stoppés nets au second tour par l’Allemagne et l’Espagne, tandis que les Magyars ne passeront même pas le premier tour. De son côté, le Brésil déroule et applique le tarif « maison », soit 4 buts à la fragile Nouvelle-Zélande et à la grande équipe d’Ecosse emmenée par Graeme Souness. La frayeur initiale contre l’URSS (2-1) a été vite balayée par l’équipe de Telé Santana qui survole la compétition et marque trois autres buts qui éliminent l’Argentine, championne du monde en titre, au second tour. Socrates et ses copains déploient l’un des jeux les plus spectaculaires et inventifs de tous les temps. Mais voilà que l’Italie, laborieuse au premier tour (3 nuls), se dresse sur le chemin des Auriverde, promis à la demi-finale en cas de nul. La suite est connue : Paolo Rossi choisit ce jour pour ressusciter, inscrire trois buts de renard, et punir des Brésiliens coupables d’être trop joueurs.

Falcao, le vrai, celui du Brésil 82

En 86, la « Danish Dynamite » explose tout sur son passage dans le « groupe de la mort » : Allemagne (2-0), Ecosse (1-0) et Uruguay (6-1), avec un impressionnant Michael Laudrup à la baguette. De son côté, l’URSS balaie la Hongrie (6-0) et tient en respect les Bleus, champions d’Europe en titre (1-1). Ce sont les deux épouvantails du premier tour. Personne ne doute qu’on tient parmi ces deux équipes, qui doivent se retrouver en quart, un finaliste en puissance. Or, le second tour révèle une vérité différente : le Danemark de Jesper Olsen et Elkjaer est écrabouillé par une Espagne réaliste (5-1) qui a haussé son niveau de jeu après un premier tour quelconque. Quant à la Belgique, qualifiée de justesse après une défaite contre le Mexique et un nul contre le Paraguay, élimine les Soviétiques à la surprise générale (4-3 a.p.).

Acrobaties, chaussettes baissées et maillot Hummel : le Danemark de Sören Lerby éclabousse le début de compétition en 86

En 90, changement de scénario : l’équipe qui démarre le mieux la compète parvient à tenir le rythme. La Yougoslavie et les Emirats Arabes Unis encaissent 9 buts face à la machine teutonne huilée par un Lothar Matthäus au sommet de son art. La Mannschaft réunifiée gobe successivement la Hollande, la Tchécoslovaquie (l’autre équipe qui avait cartonné en début de compète), l’Angleterre puis l’Argentine en finale. Les coéquipiers de Maradona qui avaient débuté par une défaite (contre le Cameroun) avant de réaliser un parcours héroïque éliminant les rivaux Brésiliens, les yougoslaves pas encore désunis, puis les Italiens à Naples à l'issue d'un match tragique…

Le parcours de l’Argentine en 94 rappelle les précédents de 86 : 4-0 contre la Grèce, 2-1 contre le Nigéria. Avec un Diego affuté à la baguette entouré d’une génération prometteuse (Redondo, Batistuta, Sensini), on pense tenir un finaliste potentiel avec cette équipe qui développe un jeu spectaculaire. Hélas, la perte de leur capitaine charismatique, pris la main dans le sac au contrôle anti-doping, leur coupe les jambes. La suite est pathétique : défaite contre la Bulgarie lors du dernier match de poule puis élimination définitive par la Roumanie en 1/8e

Fernando Redondo, symbole du gâchis argentin des années 90

En 98, l’armada argentine refait le coup du départ canon en balayant Japon, Jamaique et Croatie sans encaisser de buts (7 marqués), et avec un nouveau petit génie aux manettes (Ariel Ortega). La qualification aux tirs aux buts lors d’un 1/8e de finale mémorable à Saint-Etienne contre l’Angleterre confirme que Zanetti and co. sont dans le coup. Pourtant, ils butent en quart sur des Néerlandais emmenés par le magique Bergkamp, alors que le premier tour des Oranje avait été plus que moyen (nuls contre la Belgique et le Mexique).

Lors du tournoi asiatique de 2002 l’Allemagne (8-0 contre l’Arabie Saoudite) et le Brésil (4 buts contre la Chine, et 5 contre le Costa Rica) sortent les armes lourdes d’entrée de jeu. Exceptionnellement, elles tiendront jusqu’au bout le rythme puisque la finale  les opposera. De façon assez surprenante, cette finale de Yokohama est la seule rencontre jamais enregistrée en coupe du Monde entre ces deux monstres que sont le Brésil et l’Allemagne. A contrario, l’Espagne (9 pts et 3 buts par match) est impériale au premier tour mais est victime de stérilité offensive ensuite. Les tirs aux buts les qualifient contre l’Irlande mais les éliminent en quart devant une Corée du Sud déchaînée drivée par Guus Hiddink.

En 2006, on se souvient de l’enflammade espagnole qui termine le premier tour avec 9 pts et 8 buts marqués (dont 4 face à l’Ukraine de Shevchenko). Résultat : une piteuse élimination en 1/8e de finale. Mais c’est l’Argentine (6-0 contre la Serbie) qui impressionne le plus lors des matches de poule, s’affirmant comme un lauréat potentiel, avant de devoir baisser les armes face à l’Allemagne, une autre équipe « vitamine » du premier tour (3 victoires, 8 buts marqués) en quart. Même sort pour le Brésil, stoppé au même stade de la compétition par une France en mode « diesel » (2 nuls pour commencer avant d’éliminer l’Espagne et donc le Brésil). Les Auriverde avaient pourtant réalisé un premier tour sans faute (3 victoires, 7 buts). Pendant ce temps, l’Italie se fraie un chemin jusqu’en demi-finale sans faire de bruit…

C'est qui derrière Fernando? C'est Willy!


Lors de la première édition africaine, en 2010, ce sont les Allemands qui provoquent le grand frisson lors du premier tour en étrillant l’Australie (4-0) puis en ramenant le Ghana à la raison (1-0). Entre ces deux matches, une étrange défaite contre la Serbie (0-1) annonce les failles dont se délecteront les Espagnols en demi-finale malgré une avalanche de buts en 1/8e et en quart (8 contre l’Angleterre et l’Argentine). Les futurs champions du monde ibériques qui avaient débuté la compétition par une défaite contre la suisse (1-0)…

Sur les huit dernières coupes du Monde, l’Allemagne en 90 et le Brésil en 2002 sont les deux seuls futurs vainqueurs à avoir entamé la compétition très fort. A un degré moindre, on peut compter la France de 98 dans cette catégorie, puisque les Bleus avaient fait carton plein (9 pts avec 9 buts marqués) au premier tour, mais c’était à domicile et face à des équipes de second rang (Arabie Saoudite et Afrique du Sud). Autre bémol pour l’équipe de Jacquet : la suite fut nettement plus hasardeuse, avec une qualification au but en or, une autre aux tirs aux buts et un renversement de situation survenu grâce à un buteur rare en demi-finale.

En 1990, Matthäus a survolé la compétition de bout en bout

Lors des cinq autres éditions, l’équipe « on fire » du premier tour s’est la plupart du temps arrêtée avant les demi-finales : Brésil en 82, Danemark et URSS en 86, et l’Argentine en 94, 98 et 2006, décidément abonnée à ce rôle de vainqueur potentiel qui déçoit. L’Allemagne de 2002 ainsi que celle de 2010 sont allés loin (finale et demie) en poursuivant sur la même carburation, mais les équipes qui vont loin après avoir débuté doucement sont plus nombreuses : Italie 82, 94 et 2006, Allemagne et Belgique 86, Argentine et Angleterre en 90, Bulgarie en 94, Croatie en 98, Turquie en 2002, France en 2006, et à un degré moindre Espagne et Uruguay en 2010. L’édition 82 est la plus renversante de toutes, puisqu’aucun des demi-finalistes (Italie, Pologne, France et Allemagne) n’avait remporté son match inaugural…


dimanche 9 mars 2014

LIBERO(S) GRANDE

Baresi, Ondrus, Koeman, Trésor, Zmuda, Pezzey et Demol furent tous titulaires de patronymes farfelus. Coïncidence ? Non, car ces défenseurs techniques et « libérés de tout marquage » sont les symboles de la popularité du poste de libéro dans les décennies 70 et 80.


Bruno Pezzey, Argentina '78


BARESI, TRESOR, PEZZEY

Bruno Pezzey : Uruguayen ? Italien ? Suisse ? Autrichien. Vainqueur de la coupe de l’UEFA avec l’Eintracht Francfort, auteur d’un but contre l’Irlande du Nord lors de la coupe du monde 82, Bruno le Germain est décédé en jouant au hockey-sur-glace un 31 décembre, à Innsbruck. À 34 jours de son quarantième anniversaire. Car libéro, c’est non seulement un poste à porter un nom baroque, mais c’est aussi courir le risque de foncer vers une issue tragique.


Marius Trésor : la Guadeloupe apporte un bloc de vaillance, de courage et d’intelligence à une défense française en reconstruction. C’est la pierre angulaire défensive sur laquelle Hidalgo va bâtir son glorieux édifice. Six ans plus tard, en Andalousie via Marseille et Bordeaux, Trésor frappe une volée pleine lucarne un soir d’été en 1982. Un don de Dieu, un cadeau, un trésor ! Sacré Marius.


Franco Baresi. Rides à 25 ans, dos courbé, calvitie et nuque épaisse : un physique des Dolomites du type qui ne déconne pas avec la ligne de hors-jeu et les relances de 60 mètres. Un style seigneurial imprime la légende du libero qui joue bas dans le Milan AC de Sacchi qui joue (très) haut. Mais même sans adversaire direct, Franco « bas-résilles » était collant.



KOEMAN, DEMOL, ZMUDA

Le pauvre Wladislaw Zmuda a attendu d’avoir 28 bougies sur le gâteau avant que l’administration de son pays l’autorise à exercer son métier dans le « monde libre ». Homme de goût, Wladi, 91 sélections et quatre coupes du monde au compteur (co-recordman), pose son sac à Vérone (Hellas). Affaibli par les blessures, il ne défend que sept fois en deux saisons les couleurs d’un club qui remportera le championnat l’année suivant son départ. « Meilleur jeune » de la Weltmeisterschaft 74, médaille d’argent aux J.O. deux ans après, brillant troisième du Mundial 82, Zmuda a été le dénominateur commun des grandes équipes de Pologne qui se sont succédé entre 1974 et 1986.

Ronald Koeman : l’homme-chibre à la frappe de titan (Barcelone-Sampdoria) a toujours su rallier à lui les esprits (Marcelo) salaces. Après tout, mieux vaut en avoir une dure que « Demol ». Stéphane est un grand voyageur révélé au cours de l’ahurissante rencontre du Mondial 86 qui vit la Belgique terrasser l’ogre soviétique 4 buts à 3. L’Anderlechtois a ensuite (joué et) emménagé à Bologne, Porto, Toulouse, Braga, Athènes (Panionios), Toulon, Liège, Bruges et Lugano en moins de dix ans !


SUPPLEMENT « EUROFOOT 76 » : ANTON ONDRUS

En demi-finale de l’Euro 76, Anton Ondrus est le capitaine de la Tchécoslovaquie qui défie les footballeurs totaux des Pays-Bas, vice-champions du monde en titre. Il ouvre le score d’une tête imparable de 15 mètres au quart d’heure de jeu. Son équipe est réduite à dix trois quart d’heure plus tard. Les Tchèques courbent l’échine. Dans leur style caractéristique, avec fougue et détermination, les Hollandais poussent. À la 73ème, Willy Van de Kerkhof, alerté par Wim Jensen, déborde et centre au cordeau. Le ballon rebondit sur le genou de l’ami Ondrus qui expédie le cuir dans ses propres filets. C’est le fameux classique « tor-eigentor ».

Anton a les boules. Heureusement, Neeskens est exclu à son tour trois minutes plus tard. L’orage orange passe, mais pas la pluie dans le ciel dans le stade Maksimir. Fin du temps réglementaire. Le valeureux Van Hanegem laisse ses coéquipiers à neuf. Un contre assassin smashé par Nehoda, puis un dernier pour conclure de Vezely scellent le sort des favoris bataves en toute fin de prolongation. Quatre jours plus tard, Antonin Panenka inscrit son nom dans l’histoire en inventant un genre de tir fouetté à effet rétro synonyme de victoire finale face à la République Fédérale Allemande championne du monde et d’Europe en titre. Anton Ondrus soulève la coupe. Sept ans plus tard, il signe à Thonon-les-Bains, division 2, groupe B du championnat de France.