Chroniques du jeu, des joueurs et des matches d’avant.

Pour une esthétique éternelle du football, de ses enjeux, de ses libéros et de ses 5-3-2.

dimanche 20 décembre 2015

AMERICA VS "LE RESTE DU MONDE" : UN ÉTÉ CALIFORNIEN

Il fut un temps où la FIFA ne passait pas son temps à organiser des procès à charge CONTRE ses propres membres. Il arrivait même à l'organisation mondiale du football de produire des événements originaux, exotiques, voire palpitants, comme ces rencontres entre sélections continentales, et en l’occurrence ici intercontinentales. Nous sommes quelques semaines après le triomphe argentin lors du Mondial 1986 et le Rose Bowl de Pasadena (banlieue de L.A.) est bien rempli pour accueillir ce show hollywoodien calibré pour les télés à pub.
Soren Lerby na manque jamais un face-à-face

Falcao jubile


D'un côté : une sélection de joueurs du continent américain - qui penche vachement au sud – organisée autour de Diego Maradona. On dénombre trois Argentins (avec Brown et Pumpido), quatre Brésiliens (tous à des postes plutôt défensifs : Josimar, Julio Cesar, Alemao et Falcao), deux Mexicains (Negrete, Servin) et deux Paraguayens (Nunes et Cabanas). Des joueurs « on fire » lors du récent mondial – sauf Falcao, 32 ans, sur les rotules avec la seleçao, mais qui éclabousse de retenue et de délicatesse l'un de ses derniers matches pro. Pour enflammer le stade, le binôme de coaches Bilardo et Milutinovic fera entrer un Américain (Caligiuri) en seconde période.

America' 86
Rest of the World' 86





De l'autre : une sélection « Rest of the World » - dont l'épicentre, on ne va pas se mentir, se situe en Europe. Le banc comprend certes un Asiatique (le Coréen Park) et un Marocain (Timoumi), mais le onze titulaire est 100% vieux Continent. Le Danois Lerby et l'Ecossais Strachan forme un duo de lutins toniques au milieu. Butcher, Amoros et Belanov (6 buts au Mexique) poursuivent sur leur lancée de la compét' du mois précédent du côté de Vera Cruz. Stielike, Renquin, Jennings, Rossi, Magath, voire Rocheteau, incarnent plutôt quant à eux la génération précédente, celle qui a brillé sur la Costa Brava en 82. Du costaud, du filou, de l'expérience. Deux Allemands, deux Français, trois Britanniques, un Belge, un Italien, un Danois et un Soviétique, mais aucune des grosses côtes du moment (Butragueno, Elkjaer-Larsen, Lineker, Laudrup, Michel, Zavarov, Scifo etc.), ni des superstars du continent (Rumenigge, Pfaff et Platoche avaient « week-end à la mer »).

Envoyé spécial du KGB

Cabanas-Maradona: l'axe napolitano-brestois

N’empêche, Beckenbauer et Cruyff (binôme de coaches un brin connaisseur) ont bâti un onze solide, pas clinquant pour deux sous (malgré ses deux meilleurs buteurs de coupe du monde en pointe), cosmopolite, qui préfigure les tours de Babel de milieu de tableau de l'ère Premier League post-Bosman. C'est logiquement lui qui mène deux-zéro à l'heure de jeu, malgré la domination des « locaux ». Et s'il n'y a que deux buts au compteur, c'est qu'on est pas chez Pinder en cette fin juillet à L.A.


Malgré le cachet « exhibition » accolé à cette rencontre sans enjeu, on sent que les deux sélections tournent bien (surtout l'Européenne, étonnante de fluidité pour une équipe « bricolée ») et qu'il y a une sorte de suprématie en jeu, héritée de la rivalité Europe-Amérique qui rythme la World Cup tous les quatre ans. Guidée par un Maradona au top de lui-même, l'Amérique revient au score grâce au futur meilleur buteur de deuxième division à Brest : Roberto Cabanas. La séance de tirs aux buts nous rappelle qu'on est aux States, et que vu d'ici, rien de tel qu'un concours de shoot pour faire durer le suspense.




dimanche 15 novembre 2015

« DIEGO » BUCHWALD, LE PROMOTION DU SIECLE

Allemagne – Pays BasCoupe du monde 1990. Sans Siro, Milan.



Frank Rijkaard est un monstre. Défenseur, milieu de terrain, organisateur, stoppeur : sa polyvalence a peu d'égal dans l'histoire du football. Pourtant, ce 24 juin, à Milan, dans ce qui constitue l'affiche de ces huitièmes de finale de la coupe du monde 1990 (égalité avec Brésil-Argentine à Turin), il va trouver son maître en la personne de Guido Buchwald. Depuis les tribunes, le joueur du grand Milan AC d'Arigo Sacchi va subir, impuissant à l'élimination des siens. Pourquoi en tribune ? Car il a pété un cablon. À la 22e minute, il ne résiste pas à la tentation de jeter un crachat bien huileux sur la moquette crânienne de ce diable de Rüdi Völler. Un peu injustement, ce dernier paie aussi dans l'embrouille, puisque l'arbitre montre illico le carton rouge à ces deux joueurs « de caractère ».

Guido défend, Guido attaque, Guido grimace, Guido est grand, suffisamment
grand pour que ses coéquipiers le surnomment "Diego".

Il reste a minima 68 minutes à jouer et le meilleur à venir puisque les deux équipes doivent se réorganiser en conséquence des cette double sortie précoce. Et que les espaces vont s'ouvrir après un début de partie agressif et tendu, comme souvent entre ces deux nations rivales (guerre mondiale 1939, coupe du monde 1974, euro 1988 etc.). Côté hollandais rien ne bouge niveau tactique si ce n'est le recentrage de l'arrière droit Van Aerle dans l'axe de la défense, Winter (demi défensif) et Van't Schip (ailier droit) se relayant pour boucher les trous sur le flanc défensif droit.

Côté allemand, Franz Beckenbauer ambitionne de grandes manœuvres et réorganise le positionnement global de l'équipe qui avait démarré la rencontre en 5-3-2. Le grand Guido Buchwald, généralement dévolu aux tâches défensives, se voit offrir la promotion du siècle : direction l'attaque pour épauler Klinsmann, afin de boucher le trou laissé béant par la sortie du roublard Rüdi. Ce soir-là, dans un stade dont six des vingt-deux acteurs du coup d'envoi connaissent chaque recoin (Klinsmann, Matthäus et Brehme jouent à l'Inter ; Rijkaard, Gullit et Van Basten au Milan AC), c'est lui qui va faire basculer la rencontre.

Avant le "Rüdigate" de la 22e minute
Après l'expulsion, Buchwald est promu "attaquant".





















50 minutes de jeu : le frisé de Stuttgart reçoit un ballon sur le flanc gauche. Deux passements de jambe plus tard, Aaron Winter est enrhumé. Guido le contourne sur sa droite, et centre du pied gauche, au cordeau. Au premier poteau, Klinsmann arrive lancé, dévie la balle de l'extérieur du pied droit devançant Van Aerle comme Van Breukelen : 1-0. Feu « la RFA » peut voir venir. Les Néerlandais ne sont pas dans un grand jour, mais se créent plusieurs occasions de revenir à égalité. Gullit est impuissant, Van't Schip invisible et Van Basten esseulé. Seul Witschge, avec son magnifique pied gauche, apporte un peu (beaucoup!) de classe au « dix » orange.


Evidemment, les Allemands doublent la mise. Mais même pas en contre malgré leur position reculée depuis l'ouverture du score – et les risques pris par les Néerlandais désormais disposés en 2-3-4 avec l'entrée de Wim Kieft – puisque le but du K.-O. arrive au terme d'un corner joué côté droit. Mauvais renvoi sur Berthold qui joue de la tête pour... Buchwald, une fois encore côté gauche de l'attaque allemande (le flanc déserté par les Pays-Bas depuis le recentrage de Van Aerle). Sobrement, cette fois, il alerte en retrait Andreas Brehme qui enroule de l'angle de la surface, du pied droit : 2-0.

Deux semaines plus tard, Buchwald soulèvera la coupe du monde après avoir muselé Maradona en finale. Dans l'ombre, celui qui a bien mérité son surnom de « Diego », aura été l'un des hommes forts d'une Mannschaft solide, réaliste et néanmoins créative - ceci pas seulement grâce à son médiatique trio de l'Inter de Milan: Matthäus, Brehme, Klinsmann.


l'intégrale:


dimanche 1 novembre 2015

LE BOUILLON DU PREMIER MATCH

Italy (vs. Austria WC 90), Rome, 9 juin 1990



Coach: Azeglio Vicni

Rencontre typique entre l'équipe qui débute son Mondial à domicile face et une sélection très inférieure "sur le papier". Résultat: panique devant le but adverse, rien de marqué en 75 minutes et bon gros stress au stade Olympique. Revue d'effectif d'une squadra qui débute timidement sa compétition.


Autriche prudente: à 8 derrière lorsque l'Italie pousse.

Giannini recule fréquemment. Di Napoli est porté vers l'avant: une place pour deux.
Bergomi marquage individuel sur Polster.
Baresi s'intercale au milieu: soyeux.
Carnevale volontaire mais maladroit, précipité.
Maldini prudent, efficace, timide.
De Agostini entre après la pause: passage au losange et couverture du flanc gauche.
Vialli alterne profondeur et jeu en pivot: solide.
Donadoni crée des étincelles. Entente à parfaire avec Giannini.
Schilacci arrive avec à propos pour régler le problème de l'inefficacité devant le but.

Défense solide, bloc assez rigide derrière, normalement souple devant. Manque global de maîtrise. Enthousiasme et idées créatives, mais également grande fébrilité à la construction, déficit de confiance. Tirs précoces, actions non menées à terme.



mardi 7 juillet 2015

RFA-POLOGNE 1974 : BATAILLE D'EAU EN MONDIOVISION

Dans des conditions diluviennes, la Mannschaft remporte la bataille navale qui lui permet d'accéder à la finale de « sa » coupe du monde.



Il pleut des seaux d'eau sur Francfort depuis la veille, et encore à l'heure où les deux équipes sont programmées pour donner le coup d'envoi de Pologne – Allemagne de l'Ouest. On va attendre un peu que le grain passe. Les stadiers épongent la pelouse avec leurs gros rouleaux. Les pompiers arrivent en renfort. On ne voit que des parapluies dans les tribunes. La délégation polonaise veut reporter le match – le bon sens l'y incite. Les Allemands veulent jouer. L'arbitre autrichien décide que la bataille d'eau peut commencer, avec une demi-heure de retard et un bon cinquième de l'aire de jeu totalement impraticable, gorgée d'eau. Sur une bande de 40 mètres de long sur 25 de large, entre la surface de réparation et la ligne médiane côté opposé à la tribune officielle, le ballon n'avance pas.

C'est la zone de Breitner, l'arrière gauche, qui s'emploie toute la première mi-temps à tenter de nettoyer ce qu'il reste de pelouse à cet endroit du terrain en multipliant les aller-retours. Le ballon produit des trajectoires facétieuses, s'arrête subrepticement, prend les joueur à contre-pied. Le fabuleuse histoire du « Foot en folie » commence ici. Beckenbauer, lui,a tout compris : il procède par petites louches successives pour avancer sur cette partie du terrain imbibée d'eau. Mais la mécanique de construction germanique est contrariée par la météo. Décidément, cette coupe du monde, c'est la galère pour les troupes de Helmut Schön.

Les Allemands jouent avec le feu depuis le début de la compétition


La victoire à l'arrachée lors du premier match contre le Chili, grâce à une énorme patate du fougueux Breitner, 23 ans, latéral offensif, n'efface pas tout. L'humiliation d'une défaite face au frère de l'Est (RDA-RFA : 1-0) renvoie-t-elle la Mannschaft à des moments de doute avant le second tour ? Habitués à briller depuis vingt ans en coupe du monde (une victoire, une finale et une demi-finale sur les quatre dernières éditions) et vainqueurs de l'Euro 72, les Allemands sont ultra favoris de l'épreuve. Dans le sillage du Bayern, qui vient de remporter sa première C1 et qui forme l'ossature de la sélection nationale, on se demande qui peut stopper la machine teutonne. Pourtant, ce n'est pas à un redressement tonitruant qu'on assiste lors des matches suivants.

Les Yougos, et leur légendaire sens de la combativité, ne font pas ombrage à leurs hôtes. Mais contre la Suède, c'est une autre histoire. Overath, génial meneur de jeu jamais en manque d'inspiration, recentre les débats en 2e mi-temps (victoire 4-2) alors que les Scandinaves menaient à la surprise générale à la pause (volée limpide d'Edströem sur un ballon mal renvoyé). Grabowski, entré après l'heure de jeu, séduit efficacement sur l'aile droite dans ce duel de haute volée au suspense garanti. Il retrouve une place de titulaire perdue en début de tournoi pour le match décisif contre la Pologne.

Hölzenbein utilise ses aérofreins pour stopper la course de Szymanowski

En fait, hormis les cinq-six indéboulonnables (Maier, Vogts, Schwarzenbeck, Beckenbauer, Breitner, Müller), la formation alignée par papy Helmut fluctue de match en match. A la pression qui naturellement échoit au pays qui joue une coupe du monde à domicile s'ajoute une fébrilité sur le plan tactique que le coach semble avoir du mal à gérer. Des histoires de clan, de lobbies : Netzer et le team Mönchengladbach d'un coté, Overath et les Munichois de l'autre. Netzer a un style de jeu plus flamboyant, plus direct qu'Overath. Il est meilleur dribbleur, plus grand buteur. Plus soliste aussi, moins impliqué dans les rouages du rythme collectif que le génial Wolfgang aime imprimer, en chef d'orchestre au pied gauche de velours.

Beckenbauer tranche, ce sera Overath avec qui il formait un formidable binôme du milieu de terrain quatre ans auparavant au Mexique. Leur relation technique est toujours aussi onctueuse : petites passes dans l'intervalle, remontées de balle tranquilles, ouverture de l'extérieur du pied etc. Restent trois postes à pourvoir : Wimmer, Herzog, Flohe, Cullman et Heynckes se succèdent sur les pelouses de Germanie avant que le puissant Bonhof ne s'installe comme milieu défensif, puis que les ailiers de l'Eintracht, le malicieux Grabovski et le chétif Hölzenbein, ne s'incrustent définitivement sur la feuille de match à partir du fameux match contre la Pologne.

La Pologne rate le coche et s'en bouffe le coude


Revenons donc à notre clash des Titans : RFA-Pologne, affiche finale d'un second tour sous forme de mini-championnat à quatre équipes. Allemands et polonais ont remporté leurs deux premières rencontres : le vainqueur du duel validera son billet pour la finale. Bien que l'organisation ne l'ait pas prévu ainsi, l'épreuve offre donc une véritable demi-finale à la mondovision rincée à l'eau claire, trempée des pieds à la tête. Et la pelouse inondée ne handicape pas que les défenseurs allemands aux maillots tout crottés après même pas un quart d'heure de jeu. Tout le flanc droit de l'attaque polonaise est neutralisée en première mi-temps. Celui où rode Lato, révélation du tournoi, appelé en dernière minute (remplaçant la légende Lubanski), titulaire surprise et auteur de six buts en cinq matches ! Du bourbier de Francfort, le « divin dégarni » (24 ans) s'extraie pour aller défier Maier en un contre un vers la demi-heure de jeu. Le gardien munichois n'est pas là pour rigoler et offre son corps en sacrifice à la Nation en danger. Ce sera la plus grosse occasion de but de la première mi-temps sifflée sur un score nul et vierge.

Beckenbauer se positionne en F3 alors que Domarski l'attendait en C2

Prudents, les locaux n'ont jusque là pris aucun risque avec l'état du terrain. Mais au retour des vestiaires il n'y a plus le choix. Un 0-0 qualifie les rouges, au bénéfice du goal-average. Il faut marquer, mais rien ne sert de s'affoler non plus : « Nous sommes chez nous, jouons notre jeu, ça finira bien par passer » explique (à peu près) Kaizer Franz à ses camarades pendant la pause citron. À l'heure de jeu, Hölzenbein se faufile dans la défense à deux têtes formée du grand Gorgon et de l'impétueux Zmuda (20 ans, élu "meilleur jeune" du tournoi) : penalty. Hoeness, infatigable accélérateur de particules entre le milieu et l'attaque, parfois imprécis, y va. Tomaszewski la sort. Stupeur. Et tremblements.

Beckenbauer monte d'un cran, il est maintenant à l'origine de toutes les actions. Qu'Overath modèle à son image : élégamment et avec clairvoyance, alternant jeu court et jeu long, s'appuyant sur les courses de ses coéquipiers comme un trapéziste sur son bâton d'équilibre. Sur une percée de Bonhof, Müller récupère miraculeusement un ballon taclé à l'emporte-pièce, à 15 mètres des buts. Sans pitié, « der Bomber » crucifie le gardien polonais d'une frappe croisée. Enfin ! Délivrance. Le dernier quart d'heure est épique. Piqués au vif, les Polonais se ruent à l'attaque. Ils regretteront peut être d'avoir été trop gestionnaires pendant 80 minutes : ils n'en ont plus que 10 pour récupérer leur place en finale ! Deyna, capitaine, meneur de jeu et leader technique de la belle Pologne force le goal du Bayern à de très, très grandes œuvres.

La pluie reprend, double et triple. Elle harcèle les photographes de bord de touche autant que les tirs perdus de Maszczyk et Gadocha. Le courage germanique s'impose finalement, au bout de l'effort et de la douche (sans Thaïti). Il prive les utopistes d'une finale aussi inédite qu'excitante entre Pologne et Hollande, les deux équipes les plus prolifiques de la compétition en termes de buts. Quant à l'Allemagne, elle se faufile une nouvelle fois par un trou de souris pour avancer son pion péniblement vers Dame. Reste une ultime marche, face aux redoutables (imbattables ?) coéquipiers de Johann Cruyff, quatre jours plus tard, à Munich...

Feuille de Match


Coupe du Monde 1974, second tour, groupe B, 3 juillet 1974

Waldstadion, Francfort. Affluence: 62,000
Arbitre: Erich Linemayr

Pologne : Tomaszewski – Szymanowski, Gorgon, Zmuda, Musial – Kasperczak, Maszczyk, Deyna (cap.), Domarski – Gadocha, Lato. Ent : Gorski.

Allemagne : Maier – Vogts, Schwarzenbeck, Beckenbauer (cap.), Breitner – Bonhof, Overath, Hoeness – Hölzenbein, Grabowski, Müller. Ent : Schön.

But : Müller (76e)