Roumanie-France (1-3), octobre 1995
Qu'est-ce qu'un match « fondateur » ? Une partie qui frappe les esprits et dont le resultat, inattendu bien qu'espéré, marque le début d'un nouveau cycle. Mais aussi une rencontre durant laquelle une équipe se révèle à elle-même, façonne les contours d'une identité qui devra s'inscrire dans la durée.
Le match
fondateur de l'équipe de France de la « win » late
90's-early 00's se joue à Bucarest, à l'automne 1995. Clouée
au pilori pour son absence d'ambition dans le jeu qui se traduit par
une série de matchs nuls et stériles (Slovaquie, Pologne...), la
team d'Aimé Jacquet est au bord du gouffre. Deux ans après la
piteuse élimination du Mondial américain (le fameux
« France-Bulgarie-gate »
de 1993), et deux ans (et demie) avant d'accueillir la prochaine
coupe du monde, la France est virtuellement éliminée de l'Euro 96.
Elle n'a
plus le choix : si elle veut se qualifier pour la première
édition de cette compétition ouverte à 16 nations, il faut aller
chercher un résultat dans les Carpates. Seulement voilà, la
Roumanie sort d'un Mondial américain sensationnel seulement stoppé
en quart de finale par les terribles Suédois, après avoir balayé
les outsiders colombiens, les hôtes U.S. et renversé l'Argentine
privée de Diego Maradona (mais nantie de Redondo, Batistuta et
autres Sensini) en huitième de finale.
Autant
dire qu'on a grave les chocottes dans l'amphi B flambant neuf de
l'université du Hainaut en ce mercredi 11 octobre, début
d'après-midi. Non pas à cause des désastreuses prévisions
macro-économiques de notre lointain discoureur, un obscur prof qui
n'a pas su captiver notre attention. Le match commence dans moins de
deux heures (horaire d'Europe de l'Est, style 17h45) et on n'a pas
envie d'imaginer les Bleus absents d'une quatrième compétition
internationale en 10 ans...
Mon
voisin de droite (tendance libérale à la Milton Friedman)
admet qu'avec un Karembeu monstrueux des deux côtés du terrain avec
la Samp', un Djorkaeff létal devant les cages, un Desailly
stratosphérique au Milan, un Deschamps patron de le Juve de Lippi et
des Girondins en folie (Duga-Zizou-Lizarazu en pleine épopée coupe
de l'UEFA), on a vraiment de quoi renverser des montagnes. Cette
Roumanie en est une, de montagne.
Il leur a bien fermé leurs bouches aux Roumains, Marcel. |
Les deux
heures de jeu qui suivront seront extatiques. Dans un stade mal
éclairé, ce qui renforce la sensation de piège lugubre que revêt
cette rencontre, l'image est sombre, lointaine - on est à trois semaines dHalloween aussi. On sent tout de même
immédiatement que les Djorkaeff, Dugary et autres Karembeu sont dans
le coup. Il y a de l'envie, de la niaque, des duels gagnés. Une
défense solidifiée par le duo boucherie-charcuterie composé des
inénarrables Leboeuf et Di Meco (ce dernier portant étonnamment le
brassard de capitaine ce jour-là).
Contre toute attente, donc (au mieux on espérait un nul qui
reportait à plus tard encore la décision de la qualif'), le France
l'emporte. Et impose un nouveau style. Sans Ginola et Cantona, dont
les arabesques régalent le championnat anglais, donc sans les deux
joueurs français à la plus haute réputation internationale à
l'époque, les Bleus montrent un visage relativement rare dans la
tradition de l'équipe de France : besogneuse, accrocheuse,
tranchante en contre-attaque, sereine et forte mentalement. Et bien
sûr, une touche de technique savoureuse devant, avec un Zidane
inspiré et surtout un Djorkaeff omniprésent à la construction
comme à la conclusion. Le Youri est à ce moment-là le
« franchise-player » des Bleus, et il le sera encore
jusqu'au jour du couronnement de 1998.
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