Dans des conditions diluviennes, la Mannschaft remporte la bataille navale qui lui permet d'accéder à la finale de « sa » coupe du monde.
Il pleut
des seaux d'eau sur Francfort depuis la veille, et encore à l'heure
où les deux équipes sont programmées pour donner le coup d'envoi
de Pologne – Allemagne de l'Ouest. On va attendre un peu que le
grain passe. Les stadiers épongent la pelouse avec leurs gros
rouleaux. Les pompiers arrivent en renfort. On ne voit que des
parapluies dans les tribunes. La délégation polonaise veut reporter
le match – le bon sens l'y incite. Les Allemands veulent jouer.
L'arbitre autrichien décide que la bataille d'eau peut commencer,
avec une demi-heure de retard et un bon cinquième de l'aire de jeu
totalement impraticable, gorgée d'eau. Sur une bande de 40 mètres
de long sur 25 de large, entre la surface de réparation et la ligne
médiane côté opposé à la tribune officielle, le ballon n'avance
pas.
C'est la
zone de Breitner, l'arrière gauche, qui s'emploie toute la première
mi-temps à tenter de nettoyer ce qu'il reste de pelouse à cet
endroit du terrain en multipliant les aller-retours. Le ballon
produit des trajectoires facétieuses, s'arrête subrepticement,
prend les joueur à contre-pied. Le fabuleuse histoire du « Foot
en folie » commence ici. Beckenbauer, lui,a tout compris :
il procède par petites louches successives pour avancer sur cette
partie du terrain imbibée d'eau. Mais la mécanique de construction
germanique est contrariée par la météo. Décidément, cette coupe
du monde, c'est la galère pour les troupes de Helmut Schön.
Les Allemands jouent avec le feu depuis le début de la compétition
La
victoire à l'arrachée lors du premier match contre le Chili, grâce
à une énorme patate du fougueux Breitner, 23 ans, latéral
offensif, n'efface pas tout. L'humiliation d'une défaite face au
frère de l'Est (RDA-RFA : 1-0) renvoie-t-elle la Mannschaft à
des moments de doute avant le second tour ? Habitués à briller
depuis vingt ans en coupe du monde (une victoire, une finale et une
demi-finale sur les quatre dernières éditions) et vainqueurs de l'Euro 72, les Allemands sont
ultra favoris de l'épreuve. Dans le sillage du Bayern, qui vient de
remporter sa première C1 et qui forme l'ossature de la sélection
nationale, on se demande qui peut stopper la machine teutonne.
Pourtant, ce n'est pas à un redressement tonitruant qu'on assiste
lors des matches suivants.
Les
Yougos, et leur légendaire sens de la combativité, ne font pas
ombrage à leurs hôtes. Mais contre la Suède, c'est une autre
histoire. Overath, génial meneur de jeu jamais en manque
d'inspiration, recentre les débats en 2e mi-temps (victoire 4-2)
alors que les Scandinaves menaient à la surprise générale à la
pause (volée limpide d'Edströem sur un ballon mal renvoyé).
Grabowski, entré après l'heure de jeu, séduit efficacement sur
l'aile droite dans ce duel de haute volée au suspense garanti. Il
retrouve une place de titulaire perdue en début de tournoi pour le
match décisif contre la Pologne.
Hölzenbein utilise ses aérofreins pour stopper la course de Szymanowski |
En fait,
hormis les cinq-six indéboulonnables (Maier, Vogts, Schwarzenbeck,
Beckenbauer, Breitner, Müller), la formation alignée par papy
Helmut fluctue de match en match. A la pression qui naturellement
échoit au pays qui joue une coupe du monde à domicile s'ajoute une
fébrilité sur le plan tactique que le coach semble avoir du mal à
gérer. Des histoires de clan, de lobbies : Netzer et le team
Mönchengladbach d'un coté, Overath et les Munichois de l'autre.
Netzer a un style de jeu plus flamboyant, plus direct qu'Overath. Il
est meilleur dribbleur, plus grand buteur. Plus soliste aussi, moins
impliqué dans les rouages du rythme collectif que le génial
Wolfgang aime imprimer, en chef d'orchestre au pied gauche de
velours.
Beckenbauer
tranche, ce sera Overath avec qui il formait un formidable binôme du
milieu de terrain quatre ans auparavant au Mexique. Leur relation
technique est toujours aussi onctueuse : petites passes dans
l'intervalle, remontées de balle tranquilles, ouverture de
l'extérieur du pied etc. Restent trois postes à pourvoir :
Wimmer, Herzog, Flohe, Cullman et Heynckes se succèdent sur les
pelouses de Germanie avant que le puissant Bonhof ne s'installe comme
milieu défensif, puis que les ailiers de l'Eintracht, le malicieux
Grabovski et le chétif Hölzenbein, ne s'incrustent définitivement
sur la feuille de match à partir du fameux match contre la Pologne.
La Pologne rate le coche et s'en bouffe le coude
Revenons
donc à notre clash des Titans : RFA-Pologne, affiche finale
d'un second tour sous forme de mini-championnat à quatre équipes.
Allemands et polonais ont remporté leurs deux premières
rencontres : le vainqueur du duel validera son billet pour la
finale. Bien que l'organisation ne l'ait pas prévu ainsi, l'épreuve
offre donc une véritable demi-finale à la mondovision rincée à
l'eau claire, trempée des pieds à la tête. Et la pelouse inondée
ne handicape pas que les défenseurs allemands aux maillots tout
crottés après même pas un quart d'heure de jeu. Tout le flanc
droit de l'attaque polonaise est neutralisée en première mi-temps.
Celui où rode Lato, révélation du tournoi, appelé en dernière
minute (remplaçant la légende Lubanski), titulaire surprise et
auteur de six buts en cinq matches ! Du bourbier de Francfort,
le « divin dégarni » (24 ans) s'extraie pour aller
défier Maier en un contre un vers la demi-heure de jeu. Le gardien
munichois n'est pas là pour rigoler et offre son corps en sacrifice
à la Nation en danger. Ce sera la plus grosse occasion de but de la
première mi-temps sifflée sur un score nul et vierge.
Beckenbauer se positionne en F3 alors que Domarski l'attendait en C2 |
Prudents,
les locaux n'ont jusque là pris aucun risque avec l'état du
terrain. Mais au retour des vestiaires il n'y a plus le choix. Un 0-0
qualifie les rouges, au bénéfice du goal-average. Il faut marquer,
mais rien ne sert de s'affoler non plus : « Nous sommes
chez nous, jouons notre jeu, ça finira bien par passer »
explique (à peu près) Kaizer Franz à ses camarades pendant la
pause citron. À l'heure de jeu, Hölzenbein se faufile dans la
défense à deux têtes formée du grand Gorgon et de l'impétueux
Zmuda (20 ans, élu "meilleur jeune" du tournoi) : penalty. Hoeness,
infatigable accélérateur de particules entre le milieu et
l'attaque, parfois imprécis, y va. Tomaszewski la sort. Stupeur. Et
tremblements.
Beckenbauer
monte d'un cran, il est maintenant à l'origine de toutes les
actions. Qu'Overath modèle à son image : élégamment et avec
clairvoyance, alternant jeu court et jeu long, s'appuyant sur les
courses de ses coéquipiers comme un trapéziste sur son bâton
d'équilibre. Sur une percée de Bonhof, Müller récupère
miraculeusement un ballon taclé à l'emporte-pièce, à 15 mètres
des buts. Sans pitié, « der Bomber » crucifie le gardien
polonais d'une frappe croisée. Enfin ! Délivrance. Le dernier
quart d'heure est épique. Piqués au vif, les Polonais se ruent à
l'attaque. Ils regretteront peut être d'avoir été trop
gestionnaires pendant 80 minutes : ils n'en ont plus que 10 pour
récupérer leur place en finale ! Deyna, capitaine, meneur de
jeu et leader technique de la belle Pologne force le goal du Bayern à
de très, très grandes œuvres.
La pluie
reprend, double et triple. Elle harcèle les photographes de bord de
touche autant que les tirs perdus de Maszczyk et Gadocha. Le courage
germanique s'impose finalement, au bout de l'effort et de la douche
(sans Thaïti). Il prive les utopistes d'une finale aussi inédite
qu'excitante entre Pologne et Hollande, les deux équipes les plus
prolifiques de la compétition en termes de buts. Quant à
l'Allemagne, elle se faufile une nouvelle fois par un trou de souris
pour avancer son pion péniblement vers Dame. Reste une ultime
marche, face aux redoutables (imbattables ?) coéquipiers de
Johann Cruyff, quatre jours plus tard, à Munich...
Feuille de Match
Coupe du Monde 1974, second
tour, groupe B, 3 juillet 1974
Waldstadion, Francfort. Affluence:
62,000
Arbitre: Erich Linemayr
Pologne :
Tomaszewski – Szymanowski, Gorgon, Zmuda, Musial – Kasperczak,
Maszczyk, Deyna (cap.), Domarski – Gadocha, Lato. Ent :
Gorski.
Allemagne :
Maier – Vogts, Schwarzenbeck, Beckenbauer (cap.), Breitner –
Bonhof, Overath, Hoeness – Hölzenbein, Grabowski, Müller. Ent :
Schön.
But :
Müller (76e)