Il fut
un temps où la FIFA ne passait pas son temps à organiser des procès
à charge CONTRE ses propres membres. Il arrivait même à
l'organisation mondiale du football de produire des événements
originaux, exotiques, voire palpitants, comme ces rencontres entre
sélections continentales, et en l’occurrence ici
intercontinentales. Nous sommes quelques semaines après le triomphe
argentin lors du Mondial 1986 et le Rose Bowl de Pasadena (banlieue de L.A.) est bien
rempli pour accueillir ce show hollywoodien calibré pour les télés
à pub.
Soren Lerby na manque jamais un face-à-face
Falcao
jubile
D'un
côté : une sélection de joueurs du continent américain - qui
penche vachement au sud – organisée autour de Diego Maradona. On
dénombre trois Argentins (avec Brown et Pumpido), quatre Brésiliens
(tous à des postes plutôt défensifs : Josimar, Julio Cesar,
Alemao et Falcao), deux Mexicains (Negrete, Servin) et deux
Paraguayens (Nunes et Cabanas). Des joueurs « on fire »
lors du récent mondial – sauf Falcao, 32 ans, sur les rotules avec
la seleçao, mais qui éclabousse de retenue et de délicatesse l'un
de ses derniers matches pro. Pour enflammer le stade, le binôme de
coaches Bilardo et Milutinovic fera entrer un Américain (Caligiuri)
en seconde période.
America' 86
Rest of the World' 86
De
l'autre : une sélection « Rest of the World » -
dont l'épicentre, on ne va pas se mentir, se situe en Europe. Le
banc comprend certes un Asiatique (le Coréen Park) et un Marocain
(Timoumi), mais le onze titulaire est 100% vieux Continent. Le Danois
Lerby et l'Ecossais Strachan forme un duo de lutins toniques au
milieu. Butcher, Amoros et Belanov (6 buts au Mexique) poursuivent
sur leur lancée de la compét' du mois précédent du côté de Vera
Cruz. Stielike, Renquin, Jennings, Rossi, Magath, voire Rocheteau,
incarnent plutôt quant à eux la génération précédente, celle
qui a brillé sur la Costa Brava en 82. Du costaud, du filou, de
l'expérience. Deux Allemands, deux Français, trois Britanniques, un
Belge, un Italien, un Danois et un Soviétique, mais aucune des
grosses côtes du moment (Butragueno, Elkjaer-Larsen, Lineker,
Laudrup, Michel, Zavarov, Scifo etc.), ni des superstars du continent
(Rumenigge, Pfaff et Platoche avaient « week-end à la mer »).
Envoyé spécial du KGB
Cabanas-Maradona:
l'axe napolitano-brestois
N’empêche,
Beckenbauer et Cruyff (binôme de coaches un brin connaisseur) ont
bâti un onze solide, pas clinquant pour deux sous (malgré ses deux
meilleurs buteurs de coupe du monde en pointe), cosmopolite, qui
préfigure les tours de Babel de milieu de tableau de l'ère Premier
League post-Bosman. C'est logiquement lui qui mène deux-zéro à
l'heure de jeu, malgré la domination des « locaux ». Et
s'il n'y a que deux buts au compteur, c'est qu'on est pas chez Pinder
en cette fin juillet à L.A.
Malgré
le cachet « exhibition » accolé à cette rencontre sans
enjeu, on sent que les deux sélections tournent bien (surtout
l'Européenne, étonnante de fluidité pour une équipe « bricolée »)
et qu'il y a une sorte de suprématie en jeu, héritée de la
rivalité Europe-Amérique qui rythme la World Cup tous les quatre
ans. Guidée par un Maradona au top de lui-même, l'Amérique revient
au score grâce au futur meilleur buteur de deuxième division à
Brest : Roberto Cabanas. La séance de tirs aux buts nous
rappelle qu'on est aux States, et que vu d'ici, rien de tel qu'un
concours de shoot pour faire durer le suspense.
Allemagne
– Pays Bas. Coupe du
monde 1990. Sans
Siro, Milan.
Frank
Rijkaard est un monstre. Défenseur, milieu de terrain, organisateur,
stoppeur : sa polyvalence a peu d'égal dans l'histoire du
football. Pourtant, ce 24 juin, à Milan, dans ce qui constitue
l'affiche de ces huitièmes de finale de la coupe du monde 1990 (égalité avec Brésil-Argentine à Turin), il
va trouver son maître en la personne de Guido Buchwald. Depuis les
tribunes, le joueur du grand Milan AC d'Arigo Sacchi va subir, impuissant à
l'élimination des siens. Pourquoi en tribune ? Car il a pété
un cablon. À la 22e minute, il ne résiste pas à la tentation de
jeter un crachat bien huileux sur la moquette crânienne de ce diable de Rüdi
Völler. Un peu injustement, ce dernier paie aussi dans l'embrouille, puisque
l'arbitre montre illico le carton rouge à ces deux joueurs « de
caractère ».
Guido défend, Guido attaque, Guido grimace, Guido est grand, suffisamment
grand pour que ses coéquipiers le surnomment "Diego".
Il reste
a minima 68 minutes à jouer et le meilleur à venir puisque les deux
équipes doivent se réorganiser en conséquence des cette double
sortie précoce. Et que les espaces vont s'ouvrir après un début de partie agressif et tendu, comme souvent entre ces deux nations rivales (guerre mondiale 1939, coupe du monde 1974, euro
1988 etc.). Côté hollandais rien ne bouge niveau tactique si ce n'est
le recentrage de l'arrière droit Van Aerle dans l'axe de la défense,
Winter (demi défensif) et Van't Schip (ailier droit) se relayant
pour boucher les trous sur le flanc défensif droit.
Côté
allemand, Franz Beckenbauer ambitionne de grandes manœuvres et réorganise le positionnement global de
l'équipe qui avait démarré la rencontre en 5-3-2. Le grand Guido
Buchwald, généralement dévolu aux tâches défensives, se voit
offrir la promotion du siècle : direction l'attaque pour
épauler Klinsmann, afin de boucher le trou laissé béant par la
sortie du roublard Rüdi. Ce soir-là, dans un stade dont six des
vingt-deux acteurs du coup d'envoi connaissent chaque recoin
(Klinsmann, Matthäus et Brehme jouent à l'Inter ; Rijkaard,
Gullit et Van Basten au Milan AC), c'est lui qui va faire basculer la
rencontre.
Avant le "Rüdigate" de la 22e minute
Après l'expulsion, Buchwald est promu "attaquant".
50
minutes de jeu : le frisé de Stuttgart reçoit un ballon sur le
flanc gauche. Deux passements de jambe plus tard, Aaron Winter est
enrhumé. Guido le contourne sur sa droite, et centre du pied gauche,
au cordeau. Au premier poteau, Klinsmann arrive lancé, dévie la
balle de l'extérieur du pied droit devançant Van Aerle comme Van
Breukelen : 1-0. Feu « la RFA » peut voir venir. Les
Néerlandais ne sont pas dans un grand jour, mais se créent
plusieurs occasions de revenir à égalité. Gullit est impuissant,
Van't Schip invisible et Van Basten esseulé. Seul Witschge, avec son
magnifique pied gauche, apporte un peu (beaucoup!) de classe au
« dix » orange.
Evidemment,
les Allemands doublent la mise. Mais même pas en contre malgré leur
position reculée depuis l'ouverture du score – et les risques pris
par les Néerlandais désormais disposés en 2-3-4 avec l'entrée de
Wim Kieft – puisque le but du K.-O. arrive au terme d'un corner joué
côté droit. Mauvais renvoi sur Berthold qui joue de la tête
pour... Buchwald, une fois encore côté gauche de l'attaque
allemande (le flanc déserté par les Pays-Bas depuis le recentrage
de Van Aerle). Sobrement, cette fois, il alerte en retrait Andreas
Brehme qui enroule de l'angle de la surface, du pied droit :
2-0.
Deux
semaines plus tard, Buchwald soulèvera la coupe du monde après
avoir muselé Maradona en finale. Dans l'ombre, celui qui a bien mérité son surnom de « Diego », aura été l'un des hommes forts d'une Mannschaft solide, réaliste et néanmoins créative - ceci pas seulement grâce à son médiatique trio de l'Inter de Milan: Matthäus, Brehme, Klinsmann.
Rencontre typique entre l'équipe qui débute son Mondial à domicile face et une sélection très inférieure "sur le papier". Résultat: panique devant le but adverse, rien de marqué en 75 minutes et bon gros stress au stade Olympique. Revue d'effectif d'une squadra qui débute timidement sa compétition.
Autriche prudente: à 8 derrière lorsque l'Italie pousse.
Giannini recule fréquemment. Di Napoli est porté vers l'avant: une place pour deux.
Bergomi marquage individuel sur Polster.
Baresi s'intercale au milieu: soyeux.
Carnevale volontaire mais maladroit, précipité.
Maldini prudent, efficace, timide.
De Agostini entre après la pause: passage au losange et couverture du flanc gauche.
Vialli alterne profondeur et jeu en pivot: solide.
Donadoni crée des étincelles. Entente à parfaire avec Giannini.
Schilacci arrive avec à propos pour régler le problème de l'inefficacité devant le but.
Défense solide, bloc assez rigide derrière, normalement souple devant. Manque global de maîtrise. Enthousiasme et idées créatives, mais également grande fébrilité à la construction, déficit de confiance. Tirs précoces, actions non menées à terme.
Dans des
conditions diluviennes, la Mannschaft remporte la bataille navale qui
lui permet d'accéder à la finale de « sa » coupe du
monde.
Il pleut
des seaux d'eau sur Francfort depuis la veille, et encore à l'heure
où les deux équipes sont programmées pour donner le coup d'envoi
de Pologne – Allemagne de l'Ouest. On va attendre un peu que le
grain passe. Les stadiers épongent la pelouse avec leurs gros
rouleaux. Les pompiers arrivent en renfort. On ne voit que des
parapluies dans les tribunes. La délégation polonaise veut reporter
le match – le bon sens l'y incite. Les Allemands veulent jouer.
L'arbitre autrichien décide que la bataille d'eau peut commencer,
avec une demi-heure de retard et un bon cinquième de l'aire de jeu
totalement impraticable, gorgée d'eau. Sur une bande de 40 mètres
de long sur 25 de large, entre la surface de réparation et la ligne
médiane côté opposé à la tribune officielle, le ballon n'avance
pas.
C'est la
zone de Breitner, l'arrière gauche, qui s'emploie toute la première
mi-temps à tenter de nettoyer ce qu'il reste de pelouse à cet
endroit du terrain en multipliant les aller-retours. Le ballon
produit des trajectoires facétieuses, s'arrête subrepticement,
prend les joueur à contre-pied. Le fabuleuse histoire du « Foot
en folie » commence ici. Beckenbauer, lui,a tout compris :
il procède par petites louches successives pour avancer sur cette
partie du terrain imbibée d'eau. Mais la mécanique de construction
germanique est contrariée par la météo. Décidément, cette coupe
du monde, c'est la galère pour les troupes de Helmut Schön.
Les
Allemands jouent avec le feu depuis le début de la compétition
La
victoire à l'arrachée lors du premier match contre le Chili, grâce
à une énorme patate du fougueux Breitner, 23 ans, latéral
offensif, n'efface pas tout. L'humiliation d'une défaite face au
frère de l'Est (RDA-RFA : 1-0) renvoie-t-elle la Mannschaft à
des moments de doute avant le second tour ? Habitués à briller
depuis vingt ans en coupe du monde (une victoire, une finale et une
demi-finale sur les quatre dernières éditions) et vainqueurs de l'Euro 72, les Allemands sont
ultra favoris de l'épreuve. Dans le sillage du Bayern, qui vient de
remporter sa première C1 et qui forme l'ossature de la sélection
nationale, on se demande qui peut stopper la machine teutonne.
Pourtant, ce n'est pas à un redressement tonitruant qu'on assiste
lors des matches suivants.
Les
Yougos, et leur légendaire sens de la combativité, ne font pas
ombrage à leurs hôtes. Mais contre la Suède, c'est une autre
histoire. Overath, génial meneur de jeu jamais en manque
d'inspiration, recentre les débats en 2e mi-temps (victoire 4-2)
alors que les Scandinaves menaient à la surprise générale à la
pause (volée limpide d'Edströem sur un ballon mal renvoyé).
Grabowski, entré après l'heure de jeu, séduit efficacement sur
l'aile droite dans ce duel de haute volée au suspense garanti. Il
retrouve une place de titulaire perdue en début de tournoi pour le
match décisif contre la Pologne.
Hölzenbein utilise ses aérofreins pour stopper la course de Szymanowski
En fait,
hormis les cinq-six indéboulonnables (Maier, Vogts, Schwarzenbeck,
Beckenbauer, Breitner, Müller), la formation alignée par papy
Helmut fluctue de match en match. A la pression qui naturellement
échoit au pays qui joue une coupe du monde à domicile s'ajoute une
fébrilité sur le plan tactique que le coach semble avoir du mal à
gérer. Des histoires de clan, de lobbies : Netzer et le team
Mönchengladbach d'un coté, Overath et les Munichois de l'autre.
Netzer a un style de jeu plus flamboyant, plus direct qu'Overath. Il
est meilleur dribbleur, plus grand buteur. Plus soliste aussi, moins
impliqué dans les rouages du rythme collectif que le génial
Wolfgang aime imprimer, en chef d'orchestre au pied gauche de
velours.
Beckenbauer
tranche, ce sera Overath avec qui il formait un formidable binôme du
milieu de terrain quatre ans auparavant au Mexique. Leur relation
technique est toujours aussi onctueuse : petites passes dans
l'intervalle, remontées de balle tranquilles, ouverture de
l'extérieur du pied etc. Restent trois postes à pourvoir :
Wimmer, Herzog, Flohe, Cullman et Heynckes se succèdent sur les
pelouses de Germanie avant que le puissant Bonhof ne s'installe comme
milieu défensif, puis que les ailiers de l'Eintracht, le malicieux
Grabovski et le chétif Hölzenbein, ne s'incrustent définitivement
sur la feuille de match à partir du fameux match contre la Pologne.
La
Pologne rate le coche et s'en bouffe le coude
Revenons
donc à notre clash des Titans : RFA-Pologne, affiche finale
d'un second tour sous forme de mini-championnat à quatre équipes.
Allemands et polonais ont remporté leurs deux premières
rencontres : le vainqueur du duel validera son billet pour la
finale. Bien que l'organisation ne l'ait pas prévu ainsi, l'épreuve
offre donc une véritable demi-finale à la mondovision rincée à
l'eau claire, trempée des pieds à la tête. Et la pelouse inondée
ne handicape pas que les défenseurs allemands aux maillots tout
crottés après même pas un quart d'heure de jeu. Tout le flanc
droit de l'attaque polonaise est neutralisée en première mi-temps.
Celui où rode Lato, révélation du tournoi, appelé en dernière
minute (remplaçant la légende Lubanski), titulaire surprise et
auteur de six buts en cinq matches ! Du bourbier de Francfort,
le « divin dégarni » (24 ans) s'extraie pour aller
défier Maier en un contre un vers la demi-heure de jeu. Le gardien
munichois n'est pas là pour rigoler et offre son corps en sacrifice
à la Nation en danger. Ce sera la plus grosse occasion de but de la
première mi-temps sifflée sur un score nul et vierge.
Beckenbauer se positionne en F3 alors que Domarski l'attendait en C2
Prudents,
les locaux n'ont jusque là pris aucun risque avec l'état du
terrain. Mais au retour des vestiaires il n'y a plus le choix. Un 0-0
qualifie les rouges, au bénéfice du goal-average. Il faut marquer,
mais rien ne sert de s'affoler non plus : « Nous sommes
chez nous, jouons notre jeu, ça finira bien par passer »
explique (à peu près) Kaizer Franz à ses camarades pendant la
pause citron. À l'heure de jeu, Hölzenbein se faufile dans la
défense à deux têtes formée du grand Gorgon et de l'impétueux
Zmuda (20 ans, élu "meilleur jeune" du tournoi) : penalty. Hoeness,
infatigable accélérateur de particules entre le milieu et
l'attaque, parfois imprécis, y va. Tomaszewski la sort. Stupeur. Et
tremblements.
Beckenbauer
monte d'un cran, il est maintenant à l'origine de toutes les
actions. Qu'Overath modèle à son image : élégamment et avec
clairvoyance, alternant jeu court et jeu long, s'appuyant sur les
courses de ses coéquipiers comme un trapéziste sur son bâton
d'équilibre. Sur une percée de Bonhof, Müller récupère
miraculeusement un ballon taclé à l'emporte-pièce, à 15 mètres
des buts. Sans pitié, « der Bomber » crucifie le gardien
polonais d'une frappe croisée. Enfin ! Délivrance. Le dernier
quart d'heure est épique. Piqués au vif, les Polonais se ruent à
l'attaque. Ils regretteront peut être d'avoir été trop
gestionnaires pendant 80 minutes : ils n'en ont plus que 10 pour
récupérer leur place en finale ! Deyna, capitaine, meneur de
jeu et leader technique de la belle Pologne force le goal du Bayern à
de très, très grandes œuvres.
La pluie
reprend, double et triple. Elle harcèle les photographes de bord de
touche autant que les tirs perdus de Maszczyk et Gadocha. Le courage
germanique s'impose finalement, au bout de l'effort et de la douche
(sans Thaïti). Il prive les utopistes d'une finale aussi inédite
qu'excitante entre Pologne et Hollande, les deux équipes les plus
prolifiques de la compétition en termes de buts. Quant à
l'Allemagne, elle se faufile une nouvelle fois par un trou de souris
pour avancer son pion péniblement vers Dame. Reste une ultime
marche, face aux redoutables (imbattables ?) coéquipiers de
Johann Cruyff, quatre jours plus tard, à Munich...
Feuille de Match
Coupe du Monde 1974, second
tour, groupe B, 3 juillet 1974